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Marianne Di Pasquale : Je me levais à 4h30 et rentrais vers minuit
Équipe féminine
14 mai 2020

Marianne Di Pasquale : Je me levais à 4h30 et rentrais vers minuit


Pour commencer, peux-tu nous raconter comment a débuté la carrière qui t’a menée du Jura à Genève ?

J’ai commencé à l’âge de 5 ans, au FC Clos-du-Doubs, où j’ai fait l’école de foot, puis toutes les catégories jusqu’aux juniors D. En E et en D, parmi plusieurs entraîneurs, j’ai eu l’occasion d’avoir mon père en tant que coach. 

Ta famille est très axée football ?

Non. À part mon père qui était entraîneur, mon frère a fait quelques années au FC Clos-du-Doubs en tant que joueur, mais sans plus. Dans la famille, j’ai été la plus impliquée sportivement, j’ai fait le plus long chemin dans le foot.

En junior D, je suis partie au FC Courgenay et, après, j’ai eu l’occasion d’aller faire les C ?Coca? à Cornol. C’était une équipe avec un niveau un peu plus élevé que les autres équipes dans lesquelles j’avais joué, c’était très intéressant. Malgré le fait que j’étais la seule fille, j’ai eu l’occasion d’être capitaine. Depuis toute petite, à part une coéquipière à Clos-du-Doubs, j’ai toujours été la seule fille dans l’équipe. Je me suis bien intégrée, notamment à Courgenay parce que j’étais en classe avec mes coéquipiers. À la récré on se retrouvait pour jouer au foot et, là aussi, j’étais la seule fille, mais on s’entendait vraiment bien.

À 15 ans, j’ai intégré une équipe féminine, le FC Courtedoux, une belle équipe avec beaucoup de coéquipières que je retrouvais au collège. On était en 4e ligue mais je suis partie après quelques années au FC Coeuve, avec qui je suis montée de 4e ligue à 3e ligue. C’était pas facile pour moi de passer de l’un à l’autre parce que c’était un derby, on se connaissait toutes. Le côté positif c’est que dans ma nouvelle équipe aussi, c’était principalement des joueuses de mon collège. Dans le Jura, c’est vite comme ça…

À ce moment-là, pour toi qui ne vient pas d’une famille particulièrement sportive, une promotion pouvait poser pas mal de dilemmes…

On s’était toutes mises d’accord si on voulait monter ou pas, parce que c’était un investissement en plus, mais on a décidé de relever ce défi. On est restées en 3e ligue, et, à ce moment-là, une équipe m’a proposé de faire un tournoi en salle à la Chaux-de-Fonds, où plusieurs équipes romandes jouaient. C’est à ce moment-là que j’ai été repérée.

Tu jouais en défense, comme aujourd’hui ? Ce n’est pas le poste le plus en vue du football en salle?

J’ai évolué à tous les postes, de libéro à attaquant. Plus tard, en LNB, à Servette, j’ai même fait un match en tant que gardienne. Nos deux gardiennes étaient blessées, je crois, c’était assez extraordinaire.

Un soir, après le tournoi, un entraîneur m’appelle et me demande si je veux venir faire un test à Yverdon, en LNA. Ils m’ont dit qu’ils m’avaient vue jouer en salle et qu’ils étaient intéressés à me voir. Je me suis déplacée, et après tout s’est enchaîné. Je venais de finir mon apprentissage à la Poste et j’étais devenue employée à Délémont. Pendant un mois, je faisais les trajets, c’est-à-dire que je me levais à 4h30 pour bosser à 6h, je finissais à 16h, je prenais le train pour aller à Yverdon, je m’entrainais et mes parents me récupéraient vers minuit à la gare pour rentrer chez moi. C’était trop compliqué, les horaires, la fatigue? et puis tu passes de deux entraînements par semaine en 3e ligue à un entraînement tous les jours en LNA.

C’est un heureux hasard qui a arrangé les choses?

Exactement. Le masseur d’Yverdon, à l’époque, cherchait à retourner au Jura pour des raisons personnelles, et il m’a proposé de me laisser son appartement à Yverdon. J’ai fait une demande de mutation à mon chef de Délémont, j’ai pu récupérer le même poste à Yverdon, et c’était fait.

Donc à 19 ans, tu es passée en un battement de paupières de la 3e Ligue à la LNA, tout en déménageant seule pour le football. Qu’est-ce que tu t’es dit, à ce moment-là ?

Pour moi, c’était une occasion rêvée. Actuellement, il y a une équipe de 2e ligue au Jura mais, à l’époque, il n’y avait pas d’équipe compétitive. J’ai toujours dit à mes parents que je me voyais évoluer plus loin dans le football et, quand j’ai vu cet enchaînement d’opportunités – le boulot, l’appartement? – je me suis dit que j’allais quitter mes amis et ma famille pour essayer d’accrocher ce rêve. Je ne regrette, rien, j’ai appris beaucoup et ça m’a permis de mûrir très rapidement, du fait de vivre seule et loin de ma famille aussi jeune.

Au niveau sportif, ç’a été difficile ?

Ah oui ! Pendant six mois, ça a été compliqué de faire le saut de la 3e ligue à la Ligue A, ne serait-ce qu’en raison des entraînements tous les jours. En plus, ce n’est pas la même préparation physique, c’est une tout autre intensité. J’ai travaillé dur, tous les soirs je rentrais en ayant mal partout, mais c’étaient des sacrifices qui en valaient la peine. Après cette adaptation de quelques mois, j’ai enfin réussi à rattraper le niveau de mes coéquipières, ç’avait été dur mais c’est très gratifiant.

Yverdon repose sa formation sur les sélections vaudoises, donc tu devais avoir un profil assez unique, toi qui débarquais directement de 3e ligue, non ?

Souvent, les gens me demandaient comment j’avais fait pour passer de 3e ligue à Ligue A, quel était mon secret. Certes, par rapport à certaines joueuses qui arrivent directement des jeunes ou qui font 3e ligue, 2e ligue, 1ère Ligue, LNB, LNA, j’ai sauté tout ça, mais c’était tout du travail que je faisais en plus. En plus, les entraîneurs étaient derrière moi, donc après avoir connu le banc, j’ai eu du temps de jeu, j’ai appris beaucoup. Les sacrifices ont totalement payé.

Tu connais la LNA pendant deux saisons. Qu’est-ce qu’il s’est passé, après ?

Je voulais me consacrer à ma vie privée, parce que la LNA impliquait vraiment beaucoup de sacrifices. J’ai pris la décision d’arrêter le foot, à la base, mais Maeva Sarrasin, que j’ai rencontrée à Yverdon, a rejoint Chênois à ce moment-là. Elle jouait avec l’équipe en 2e Ligue.

Elle m’a parlé du projet et elle m’a présenté ses coéquipières. Elles avaient une joueuse qui s’était blessée, et les filles m’ont demandé de venir finir la saison avec elles. Je me suis dit ?pourquoi pas ?? Il y avait une bonne cohésion, toutes les filles étaient sympas, et je n’ai plus jamais arrêté le foot.

La différence d’intensité entre la LNA et la 2e Ligue devait être marquante, non ?

Oui, surtout parce qu’à Yverdon j’avais un entraîneur très axé sur le physique. Je me suis vue beaucoup évoluer. En 2e Ligue, c’était plus jovial, on était là pour rigoler, mais on faisait des bons résultats. On est passées de 2e Ligue à 1ère Ligue, et c’est à peu près à ce moment-là, que Salvatore [Musso, président du Servette FCCF] nous a demandé, à Maeva et moi, de monter avec l’équipe de LNB pour essayer d’aller chercher la promotion. 

Peu après intervient la fusion avec Servette. Tu as ressenti les changements dans la structure ?

Oui. Beaucoup plus de trucs ?jouaient?, au niveau des infrastructures, et c’était plus encadré, on avait des physios? Avant, j’avais jamais connu ça. C’est vraiment à ce moment-là qu’on a vu que le professionnalisme arrivait.

Cette année, tu as beaucoup évolué dans une défense à trois avec Nathalia Spälti et Caroline Abbé. C’était une nouveauté pour toi ?

C’est vrai que ce système, le 3-5-2, était assez nouveau, mais on s’est entraînées, on l’a appliqué, et après c’est une histoire de cohésion et d’entente. On a la chance d’avoir Caroline Abbé, qui est là pour nous soutenir, et après une phase où on n’était pas forcément confiantes dans ce système, on a vu que l’entraînement payait.

Tu parles de cohésion, comment juges-tu la cohésion de votre trio défensif intergénérationnel ?

Je peux beaucoup apprendre de Caro, c’est tout ce que je demande. Elle est là pour nous orienter, elle communique, et avoir un pilier avec une telle ancienneté, une telle expérience dans le foot, ça ne peut que nous aider. Après, à nous de tenir notre rôle, d’agir à la hauteur et d’assurer notre poste. Oui, il y a Caro, mais il faut aussi avoir confiance en nous.

Malgré l’arrêt de la saison, tu retiendras que vous étiez la meilleure défense du championnat, avec seulement 13 buts encaissés, contre 22 pour Zürich ?

C’est intéressant ! Ça ne peut être que gratifiant. On gagne notre place sur le terrain, on se bat tous les jours à l’entraînement, parce que derrière il y a plusieurs filles qui peuvent jouer à nos places. On doit confirmer à l’entraîneur que c’est à nous d’être sur le terrain.

Tu es devenue Suisse en 2019. Est-ce que le fait d’évoluer aux côtés de Caroline Abbé, 127 sélections, et de Nathalia Spälti, qui a connu sa première sélection en janvier, c’est quelque chose qui te donne des idées ?

J’ai toujours dit que, si j’ai l’occasion d’y aller, l’équipe de Suisse ne se refuse pas, mais mon véritable objectif, c’est la Ligue des Champions. L’équipe de Suisse, ce serait très bien, je suis prête à faire des sacrifices pour y aller, mais la Ligue des Champions c’est encore autre chose, c’est un rêve. L’âge, aussi, y est pour quelque chose. Je vais avoir 27 ans. On peut intégrer l’équipe de Suisse à 20 ans, et y évoluer, c’est plus facile que d’y arriver à 27 ans.

Depuis deux ans, tu travailles pour le Servette FC, en tant que responsable logistique du centre de formation. C’est quelque chose qui te rend heureuse, d’être en permanence au bord des terrains ?

Oui, ça fait deux ans depuis le 1er mai. Oui, ça totalement changé ma vie, je suis très heureuse de travailler dans le monde du football, c’est un rêve qui se réalise. J’adore la logistique des entraînements, être au courant de comment tout se passe? la planification est quelque chose que je trouve gratifiant.

Si tu devais décrire ta personnalité en trois adjectifs, qu’est-ce que tu choisirais ?

Ambitieuse, généreuse et perfectionniste.